Méjean pour milieu

 « Je vois parfois dans le regard d’un cheval la beauté inhumaine d’un monde d’avant le passage des hommes. » – Bartabas

«  Le rêve est un mode singulier de présence. Ce qu’il dépose en nous des êtres vivants ou disparus, animaux, objets, lumières, espaces, a la force d’une apparition. La question est de savoir si nous pouvons l’accueillir, atteindre une proximité avec l’énigme onirique du monde, si nous pouvons admettre ce à quoi le génie du rêve nous appelle : une conversion. (…) Le rêve ouvre la possibilité d’une autre temporalité, verticale, et qui pourtant traverse cette vie, ce temps. » – Anne Dufourmantelle

Peux-t-on imaginer une manière d’être au monde qui serait une forme de « co-naître », de naître ensemble ? Et, si le cheval pouvait s’appartenir à lui-même, qu’aurait-il à nous apprendre ? Je suis venue en résidence pour rencontrer ces équidés qu’on appelle Przewalski, du nom de l’explorateur russe d’origine polonaise qui les a « découverts » en 1881. Considérés éteints à l’état sauvage depuis 1969, ces chevaux d’apparence trapue, robe baie et crinière en brosse, ont été l’objet de nombreux programmes de réhabilitation depuis les années 1990. Aujourd’hui, un troupeau de 41 chevaux, constitué à partir d’individus ayant survécu en captivité, évolue en semi-liberté sur 440 hectares du Causse Méjean (mégio en parler local ; bien laisser le i creuser la 2^e syllabe).

« Quand je suis avec les chevaux, il y a comme une faille temporelle. Ils nous mettent au présent, à l’ici et maintenant. Et on va retrouver ça avec les Przewalski (…). Ils permettent d’amener des rencontres entre humains, et en ça je dis qu’ils sont un lien entre le passé et l’avenir. Ils nous interrogent sans cesse sur la place du vivant, des vivants… Ils ne rentrent pas trop bien dans les cases qu’on a prévu pour eux. Et ça, on le retrouve dans toute leur histoire. »  – Hélène Roche

On m’a soufflé que Méjean veut dire milieu. Que pourrait être une écriture qui se déploie librement depuis son centre ? Je suis venue écrire sur le Causse, et chemin faisant j’ai eu envie d’écrire avec le Méjean : de me laisser porter par les voix et savoirs multiples qui l’habitent. C’est à cette autre forme d’écoute, déambulante, ouverte, qu’invite ce témoignage. Bonne écoute !

Références convoquées

– « Vivant parmi les Vivants », un film de Sylvère Petit (Films d’Ici, 2023)
– « Faire Ecole Dehors », un podcast de Anne-Lise Lizicki (la Cham, épisode #2, 2025)
– « Le cheval, toute une histoire », un film de Jean-Baptiste Sauret (MSH SUD – Association Takh, 2025)
– « D’un cheval l’autre », Bartabas (Éditions Gallimard, 2020)
– « Mongolie rêve d’infini », Michel Setboun (Éditions La Martinière, 2002)
– « L’ intelligence du rêve », Anne Dufourmantelle (Éditions Payot & Rivages, 2012)

Crédits 

Cet arpentage sonore a été réalisé avec le soutien du Four à pain (Lozère) dans le cadre d’une édition artistique à venir intitulée « Turning the Gaze Inwards: Being Horse » (Tourner le regard vers l’intérieur : être cheval) , à paraître dans la série Field Essays (Jap Sam Books) que je dirige depuis 2008.

Merci en particulier à Marie Descourtieux, et aux voix qui animent cette œuvre : les Takhi, ces chevaux libres, passeuses et passeurs d’histoire ; l’association Takh pour la sauvegarde du cheval de Przewalski et son équipe : Jean-Louis Perrin, Sébastien de Carton Grammont, Anne Laure Faquet, Julie Morrisson, Pauline Joinnault, ainsi qu’Hélène Roche et les participantes au stage d’éthologie mené à Takh en avril 2025 ; l’équipe Hippographies, projet de recherche réalisé dans l’unité de Recherche Archéologie des Sociétés Méditerranéennes, CNRS, Université Montpellier Paul-Valéry : Armelle Gardeisen (direction de projet), Audrey Roussel (chercheure post-doc), Julien Bochu (médiation) ; Thomas Plassard, cavalier du vent ; Dominique Laroche, association de l’Aven Armand ; Daniel Pacaud, boulanger gardien du feu ; le moulin de la Borie et son meunier Guillaume Xueref ; Anne-Lise Lizicki, chargée de pédagogie à l’Institut Agro, campus de Florac ; Jean-Claude Robert ; Émilie Séverac et ses précieux alliés, chiens et âne bergers : Uno, Neige, Lingot et Oréo.